Soraya Riffy, porter plainte contre son agresseur en France


Pourquoi les femmes violées et/ou agressées sexuellement ne portent pas toujours plainte.

Me revoici pour un nouvel article, sur le cas de Soraya Riffy, jeune comédienne et danseuse française. Elle a été victime d’une agression sexuelle sur le plateau de l’émission Touche Pas À Mon Poste en octobre 2016. L’agresseur, Jean-Michel Maire (chroniqueur chez TPMP), lui a embrassé la poitrine (en live) sans son consentement et alors que cette dernière venait de refuser un bisou sur la bouche. Soraya Riffy a décidé en janvier dernier de déposer une plainte contre Jean-Michel Maire, plus d’un an après les faits.

Cet article va aborder différents thèmes comme les agressions, le slut-shaming ou encore la prescription. Toutes ces réflexions auront pour point de départ un tweet réagissant à ce dépôt de plainte de la part de la jeune comédienne.

Je suis au fait des différents agissements de S. Riffy concernant ce qui s’est passé à TPMP, je sais qu’elle a donné une interview à un magazine people pour annoncer son dépôt de plainte, je sais aussi qu’elle a jadis publiquement pardonné ce geste au chroniqueur et qu’elle a publié sur ses réseaux une vidéo où un inconnu lui embrassait les seins. Je ne reviendrai pas sur ces faits et je ne donnerai pas mon avis à ce sujet, ce n’est pas ce qui m’intéresse. Dans cet article, Soraya Riffy ne sera qu’un exemple parmi tant de femmes qui ont vécu la même chose qu’elle. Les sujets abordés ne seront pas propres à cette affaire, ils concernent toutes les agressions sexuelles. L’histoire vécue par la comédienne Marseillaise ne sera utilisée ici qu’à titre d’exemple.

Commençons donc par le commencement.


UNE AGRESSION SEXUELLE, C’EST QUOI ?




      Beaucoup de gens semblent remettre en cause ce que S. Riffy a vécu. Est ce qu’un bisou sur le sein est considéré comme une agression sexuelle ? Est ce que, si c’est le cas, ce n’est pas faire insulte aux femmes qui ont vécu des agressions comme le viol ?
Pour répondre à ces questions, rien de mieux que la définition d’une agression sexuelle proposée par le gouvernement :
      “Une agression sexuelle est un geste à caractère sexuel, avec ou sans contact physique, commis par un individu sans le consentement de la personne visée ou, dans certains cas, notamment dans celui des enfants, par une manipulation affective ou par du chantage. Il s'agit d'un acte visant à assujettir une autre personne à ses propres désirs par un abus de pouvoir, par l'utilisation de la force ou de la contrainte, ou sous la menace implicite ou explicite. [...]
Cette définition s'applique peu importe :
·               l'âge, le sexe, la culture, l'origine, l'état civil, la religion et l'orientation sexuelle de la victime ou de l'agresseur sexuel;
·               le type de geste à caractère sexuel posé;
·               le lieu ou le milieu de vie dans lequel le geste à caractère sexuel a été fait;
·               les liens qui existent entre la victime et l'agresseur sexuel.”


À partir de cette définition, je pense que l’on peut affirmer sans peine que ce qu’a vécu Soraya Riffy est bel et bien une agression sexuelle. Embrasser les seins d’une personne est un geste à caractère sexuel, Jean-Michel Maire n’avait pas le consentement de la jeune fille pour effectuer ce geste. Le chroniqueur a imposé son désir à S. Riffy. Le doute n’est plus permis.

Pour ce qui est du viol, bien qu’il soit en effet une agression sexuelle, il a une définition qui lui est propre, et voici celle proposée par le code pénal
      “Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol.”

Qualifier un bisou sur les seins non consenti d’agression sexuelle n’est absolument pas une aberration ni une insulte aux femmes violées, c’est une réalité. Le but n’est pas de savoir qui a le plus souffert de son agression, ni quelle agression est légitime. De plus, la justice prévoit des peines différentes pour les agresseurs et pour les violeurs. Aux yeux de la loi, les agressions sexuelles sont un délit et les viols sont un crime, la justice se charge déjà de hiérarchiser les souffrances vécues par ces femmes. À aucun moment Soraya Riffy ne remet en cause ou ne minimise les violences vécues par les victimes de viol, mais elle a le droit et la légitimité de considérer son expérience comme une agression sexuelle : c’en est une aux yeux de la loi.


DE L’UTILITÉ DE LA PRESCRIPTION




      En France, les victimes d’agressions sexuelles et de viols ont un délai légal pour porter plainte contre leurs agresseurs. Pour une agression sexuelle, le délai est de 6 ans (http://stop-violences-femmes.gouv.fr/Violences-sexuelles,312.html), pour un viol, le délai est de 20 ans (http://stop-violences-femmes.gouv.fr/Violences-sexuelles,312.html). Au-delà de ces délais prévus par la loi, les faits sont prescrits.

Le monde juridique justifie cette prescription par le droit à l’oubli, par l’idée qu’il faut continuer de croire que les humains peuvent changer. Je ne suis absolument pas contre cette idée, et je suppose que la prescription trouve son sens dans plein de délits ou de crimes. Mais dans le cadre précis de viols et d’agressions sexuelles, je me demande à quoi sert vraiment la prescription, à part à protéger les agresseurs. L’expérience de Soraya Riffy est un bon exemple ; elle ne s’est rendue compte de l’ampleur de ce qui lui était arrivé que 2 ans après les faits. Mais beaucoup de femmes ne se rendent pas compte de ce qu’elles vivent au moment où elles le vivent et peuvent ne réaliser que 10, 20, 30 ans après les faits ! D’autres peuvent mettre des années à poser des mots sur ce qu’elles ont vécu, à exprimer leur histoire à leur entourage. Beaucoup de ces femmes auraient besoin/envie de porter plainte, en partie pour les aider à traverser ces moments de prise de conscience extrêmement difficiles à vivre. Prenons l’exemple du viol conjugal : ceux et celles qui l’ont vécu savent à quel point il peut être difficile de se rendre compte de ce qu’a fait son/sa conjoint.e. Le viol conjugal est bien plus difficile à détecter qu’un viol dans la rue perpétré par un inconnu (les viols se passent extrêmement rarement dans ces circonstances. Selon les chiffres publiés par le planetoscope, un tiers des viols a lieu au sein du couple et 74% des viols sont commis par une personne connue de la victime).
Je trouve inadmissible et répugnant qu’une femme allant porter plainte contre son agresseur se voit répondre que ce dernier s’en tirera parce qu’il y a prescription.

Je sais que je parle uniquement du point de vue des femmes et du point de vue des victimes d’agressions sexuelles et de viols. La réalité étant que la grande majorité des personnes violées sont des femmes et que je ne connais malheureusement pas l’expérience des personnes victimes d’autres crimes ou délits. Je ne prétends absolument pas délivrer une vérité générale et je tiens à préciser que tout ce qui est écrit ici n’est que mon point de vue, issu de mes propres expériences, de mon vécu et de mon éducation.

LE SLUT-SHAMING, OU COMMENT RESPONSABILISER LES VICTIMES




      Comme je l’ai précédemment expliqué dans mon article sur Gaëlle Garcia Diaz, le slut-shaming c'est quand un individu ou un groupe d'individus émettent des jugements de valeurs sur le comportement (sexuel ou non) d'une femme.
Le slut-shaming fait partie de la culture du viol qui vise à tolérer, excuser, approuver le viol et à responsabiliser, culpabiliser les victimes.

Vous avez dans les deux tweets ci-dessus deux exemples criants de slut-shaming et de culpabilisation de Soraya Riffy. Ces deux personnes semblent penser que le fait que Soraya Riffy ait fait de la chirurgie esthétique, ou le fait qu’elle poste des photos dénudées d’elle sur les réseaux justifie qu’elle se fasse agresser. On est typiquement dans le “elle l’a bien cherché”. Et bien non, rien, ABSOLUMENT RIEN, ne peut justifier un viol ou une agression sexuelle. Ni une tenue légère, ni des photos nues, ni de la chirurgie esthétique. Pour s’en rendre compte, il suffit de se poser cette simple question : si, en tant que femme hétérosexuelle, je croise un homme habillé très court et très sexy dans la rue, est ce que je me permettrais de lui mettre une main au cul  ou de le forcer à coucher avec moi ? La réponse est non. Chacun s’habille comme il veut, poste ce qu’il veut sur les réseaux et fait ce qu’il veut de sa vie (dans la limite de la légalité et du respect d’autrui), et aucun de ces éléments ne peut justifier une agression ou un viol.

La culture du viol est née dans une société patriarcale et sexiste qui, en plus de prendre les femmes pour responsables, pense savoir mieux qu’elles comment elles doivent agir. J’exemplifie ce propos par un nouveau tweet :



           En affirmant que S. Riffy aurait simplement dû gifler Jean-Michel Maire, cet internaute nie tout d’abord la possibilité que la comédienne ne se soit pas rendue compte de ce qu’elle vivait à la seconde où elle le vivait et il nie aussi que gifler quelqu’un sur un plateau TV en live n’est pas chose aisée et ce n’est certainement pas un réflexe chez tout le monde. Pour finir, partir du principe que S. Riffy aurait mieux fait de gifler le chroniqueur plutôt que de porter plainte, c’est aussi partir du principe qu’un agresseur ne doit pas forcément avoir à faire à la justice. Réglons ça dans la violence, c’est bien mieux. Je vous épargne le encore une qui cherche du pognon” qui n’est pas sans rappeler ce bon vieux cliché sexiste et tenace de la femme vénale.


            Vous l’aurez compris, cette affaire n’est pas du tout reçue comme elle devrait l’être dans une société saine et respectueuse des femmes. Au lieu de soutenir S. Riffy dans sa démarche ou de ne pas se prononcer, les gens se permettent de la juger sur ses actes, sa tenue et ses choix de vie. Pire encore, ils excusent Jean-Michel Maire alors que cette histoire ne les concerne pas. La seule personne en mesure de pardonner l’agresseur, c’est l’agressé.e.

Il est important de prendre en compte le fait que l’émission Touche Pas À Mon Poste est à elle seule le tombeau du respect et du consentement. Tout le show pousse les chroniqueurs.euses et invité.e.s à faire des choses absolument stupides et humiliantes. Cela ne minimise en rien la responsabilité de Jean-Michel Maire dans cette affaire. Au contraire, cela pointe un deuxième responsable, que ce soit pour cette agression ou pour les autres humiliations vécues au sein de l’émission : Cyril Hanouna. Il serait temps de se rendre compte à quel point TPMP véhicule des représentations irrespectueuses et humiliantes. Cette émission n’a pas sa place dans une société qui se revendique être celle de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Cette émission n’a sa place dans aucune société.

PS : petit fun fact, Jean-Michel Maire est en train d’écrire un livre nommé Gentleman lover, comment draguer sans importuner. Je pense qu’on peut se mettre d’accord sur le ridicule de cette publication future et sur le fait que Jean-Michel Maire n’a aucun respect ni pour les femmes qui l’ont subi (il aime raconter ses exploits relationnels dans TPMP, et croyez moi, ce n’est pas reluisant) ni pour les victimes d’agressions sexuelles en général.

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